La Maison - Emma Becker

Emma Becker, sous le pseudonyme de Justine, a travaillé dans une maison close berlinoise durant deux années. Ce qui la pousse à faire de son corps un instrument de travail n'est pas une affaire vénale mais une démarche d'investigation ; pour les autres d'abord, afin de rendre compte de la réalité de ce qu'on appelle communément "le plus vieux métier du monde" mais également pour elle-même, car Emma a toujours su que les hommes occupaient dans sa vie une place très prégnante, surtout sexuellement.

Devenue Justine, elle raconte la vie quotidienne d'une maison close, avec ses filles aux parcours, aux âges très différents, qui sont arrivées là pour des motifs très divers, mais surtout financiers. Des filles, dont les journées sont rythmées par des passes, appelées ici rendez-vous. Nous évoluons dans une Maison, où les filles sont libres, de partir mais aussi de rester, d'accepter ou refuser un client, une pratique.

Au fil du roman on découvre ces femmes mystérieuses, on les plaint parfois mais elles fascinent aussi. Si leurs gestes intimes sont dénués de sentiments, si tout est orchestré et minuté, on assiste à des scènes tendres où elles deviennent les confidentes de clients réguliers, reçoivent des cadeaux, des attentions. Ces clients, eux-mêmes sont intéressants :  de toutes classes sociales, de tous âges, aux intentions bien différentes :  la bizarrerie d’une pratique, l'inexpérience, la solitude... Qu'est-ce qui pousse un homme à payer une femme pour un rapport sexuel? Pourquoi choisir une prostituée et non une maitresse sans échange d'argent?

C'est un roman dans lequel on s'attache aux personnages. La prostitution est ici une fête foraine, un univers qui fascine par ce qu'elle offre d'illusoire. Alors que l'homme et la femme ont le contact physique le plus basique, cru et mécanique, tout n'est qu'illusion : les histoires d'amours que certains hommes s'inventent avec leur pute préférée, l'envie des filles qui est feinte, leurs faux orgasmes... tout n'est que simulacre. Cette maison elle-même est un décor : les embruns, les tentures, les chambres à thèmes, dans lequel évoluent des actrices du sexe.

La fin du roman est très belle, Emma Becker prend alors la plume pour dresser un bilan de cette expérience et pour rendre à ces femmes leurs lettres de noblesse car ce travail est le plus difficile qui soit. Si elle était un homme et franchissait pour la première fois les portes de cette maison close, comment se comporterait-elle? Quel type de client serait-elle? Que penserait-elle de ces filles?

C'est un témoignage authentique qui rend compte d'une réalité que tout le monde fantasme ou croit connaitre sans pour autant laisser la parole aux principales intéressées. Emma Becker met en avant, à travers ce roman autobiographique, ses collègues, ces filles, qu'elle a regardées avec des yeux admiratifs, dont elle a respiré les parfums,  celles qui l’ont aussi fait frissonner grâce à leur sensualité. Emma a vécu une expérience, concrétisé le fantasme de prendre le contrôle sur son corps et gagné une forme de pouvoir sur le corps des hommes.

Bonne lecture ❤

Editions Flammarion, 2019

(374 pages)